• Le défilé des Inquisiteurs

    Le défilé des Inquisiteurs

    Il était une fois, un orphelin, nommé Théo Silverberg ; sa mère était morte en couche lui donnant la vie, son père avait été tué à la guerre, laissant comme seul testament à Viktor Oppenheimer de s'occuper de son fils et de ne pas le laisser entrer dans l'église de la lumière en tant que paladin.

    Ces choses ont laissé des traces dans l'esprit du petit Théo, âgé seulement d'une dizaine d'années. Viktor avait gardé, de ces événements tragiques, de terribles remords. Ayant échoué dans la quête de protéger celui qu'il a éduqué pour devenir paladin de la lumière et devant maintenant obliger le petit Théo à ne pas suivre les chemins de son père. Alors que l'enfant rêvait de cela.

    Éloignés de l'église de la lumière, dans un coin reculé en pleine forêt, vivant de leurs récoltes et du travail de négociateur en ville de Viktor, la vie était paisible et confortable.

    C'est là que Théo grandit, entre ses rêves de suivre les traces de son père et un précepteur, tenu par une promesse. Il s'éleva tant bien que mal, recueillant, de Viktor, les enseignements pour la négociation et les vertus de la patience, et recevant de sa propre volonté, les cantiques des églises de la lumière, ne renonçant pas à son désir fort de rentrer dans les ordres.

    Son imagination d'enfant lui représentait les paladins comme des grands hommes se battant pour la liberté et la paix de chacun, comme le disait les bonnes femmes du village. Il en frissonnait, le soir, dans son petit lit, en se rappelant des paroles des habitants, chantant les louanges de ces hommes et femmes se battant pour l'honneur, la paix et la bienveillance. Mais personne ne chantait les louanges de son père, trop faible pour avoir réussi à revenir vivant auprès de lui. Il se promettait d'être bien plus fort que lui. De réussir là où il avait échoué.

    L'enfant en rêvait la nuit et en restait préoccupé tout le jour.

    - Pourquoi ne puis-je pas entrer dans les ordres ? Demandait-il à Viktor tous les jours.

    - Je dois respecter les volontés de ton père Théo, gémissait le pauvre homme.

    - Es-tu sûr que je ne peux vraiment pas entrer ?

    - Dieu ne te le permettra pas.

    - Tu me rattraperais si je fugais pour les rejoindre ?

    - Hélas ! Je ne peux pas désobéir, pour son honneur, mon cher petit. Je t'en prie, ne prête plus attention à ces fantaisies. Obéis à ton père, c'était son dernier souhait.

    Mais avec l'âge, la curiosité , dans l'esprit du petit Théo, prenait la place de la terreur. Il avait toujours grand peur que Viktor ne le rattrape et l'oblige à rester auprès de lui, comme un père bienveillant envers son fils. Mais il aurait bien voulu savoir comment étaient la foi de ces êtres, qui, au dire des bonnes femmes, protégeaient les opprimés. Tous les ancêtres de ce jeune héros avaient porté l'épée, et son petit coeur battait la charge dès qu'on parlait de lumière, foi, et paladin.

    Il venait d'entrer dans sa douzième année, au mois de décembre : c'était l'enfant le plus téméraire et volontaire. Il accourait pour aider son prochain, accueillait les personnes avec bonté et apprenait avec grande attention les psaumes de l'église de la lumière en secret.

    Un soir, les paladins et inquisiteurs de la lumière étaient montés sur leur petits chevaux et s'étaient approchés de la ville voisine en poussant des psaumes de la lumière. Ils allaient éradiquer des démons proches de la ville. Le lendemain, dès l'aube, on entendit en effet au loin, du côté des forêts, éclater le tonnerre et les orages qui ne prirent fin que vers le soir.

    Personne ne dormit cette nuit-là dans le bourg : on attendait des nouvelles. Vers deux heures du matin, des demis-démons traversèrent le village en titubant. Un blessé, soigné chez l'herboriste et qu'on interrogeait sur ce qui s'était passé, ne répétait obstinément que deux mots : La lumière... La lumière... On apprit quelques jours plus tard que les inquisiteurs et les paladins étaient victorieux et que les démons furent exécutés en masses...

    Viktor, persuadé que les paladins et les inquisiteurs allaient partir, tremblant d'émotion, craignait d'attirer l'attention du jeune Théo. Ce dernier était à la fois consterné et satisfait : très inquiet de savoir que Viktor le garder à l'oeil si près de lui et très fier pourtant à la pensée que des héros venaient de ramener la paix dans ces terres. Quelle pouvait bien être l'allure de ces héros ? Quelle mine appaisante possédaient-ils donc ? De quel tonnerre étaient-ils armés ? Et dans son impatience il aurait voulu voir, ne fût-ce qu'en image, ne fût-ce que sous forme de jouets, son père appartenant à cette classe de héros. Mais il ne possédait en fait d'images, que le dessin de son père débutant son apprentissage en tant que paladin, qui lui avait été legué par Viktor après la mort de ce dernier.

    Sa curiosité s'aviva jusqu'à Noël, et la veille de la fête, il prit une résolution : tandis que Viktor s'apprêtait à aider les plus malheureux, il plaça avant de se coucher, ses souliers devant l'âtre et déposa près d'eux, bien en évidence, un feuillet blanc où, de sa plus belle plume il écrivit :

    "Dieu de la lumière, apportez-moi des paladins et inquisiteurs de la lumière."

    Soit il espéra que le Dieu de la lumière prendrait la peine de passer par là pour opérer ce miracle, soit plutôt qu'il crût habile cette façon discrète de faire connaître à Viktor le désir intense qu'il osait manifester ouvertement. Il se coucha plein d'espoir et s'endormit.

    Vers cinq heures du matin, en rentrant de ses actions, Viktor ne songea pas à jeter un regard du côté de la cheminée : il venait d'apprendre que le chef des inquisiteurs approchait et que ses paladins avaient été vus vers la tombée du jour, sur les hauteurs boisées qui dominent le village. Il alla jusqu'au lit de Théo, dressé dans une alcôve au fond de l'unique salle dont se composait le rez-de-chaussée de la maison. Il avait déjà gravi quelques marches de l'escalier, quand un grand bruit se fit dans la rue : des piétinements de chevaux, des appels, et aussitôt, des coups frappés à la porte de la maison.

    Viktor s'arrêta et alla ouvrir la porte ; sur le seuil, quelques hommes, qui lui parurent pour la plupart minuscules, se tenaient couverts de leur armures blanches et brillantes, d'autres, en masse, restés à cheval, barraient la rue du village... Il recula, les hommes entrèrent sans façon... L'un d'eux, d'une taille aussi grande que la sienne, s'avança vers lui et d'une voix très douce lui dit :

    - Excusez-nous, messire Viktor Oppenheimer, nous aurons fini en quelques minutes.

    Viktor observa l'homme qui venait d'apparaître, le connaissant comme étant le meneur de l'église de la lumière qu'il avait quitté à la suite du testament du père de Théo. Leurs yeux se croisèrent. Les hommes avaient étalé de grandes cartes annonçant les foyers des démons qu'ils traquaient.

    Le meneur releva la tête.

    - C'est bien, fit-il.

    Les guerriers, docilement, replièrent les cartes. Lui s'approcha du feu mourrant, s'assit sur un escabeau, puis le meneur nommé Marcus se pencha, l'oeil fixé sur la feuille blanche posée en travers des petits souliers. Il la saisit et à demi-voix, lut : "Dieu de la lumière, apportez-moi des paladins et inquisiteurs de la lumière." Il releva le front.

    -Qu'est-ce que cela ? dit-il

    Viktor resta le visage fermé, incapable de prononcer la moindre parole. Trop préocuppé par le fait de vouloir protéger la progéniture de son élève.

    - À quelle date sommes-nous ? Est-ce aujourd'hui Noël ?

    - Oui Sire...

    - Tiens ! C'est la nuit du réveillon. Qui donc habite cette maison ? Viktor Oppenheimer...

    - Oui, répondit Viktor, Grâce... supplia-t-il.

    Le meneur allait et venait par la chambre, il arriva ainsi au lit où dormait Théo.

    - C'est cet enfant, le fils Silverberg, qui a écrit ce souhait ?

    - Oui... Répéta Viktor le regard sombre, grâce pour lui... Du moins pour les volontés de feu son père.

    Le meneur n'écoutait pas, il s'était penché sur le petit lit et regardait l'enfant dormir.

    - Sortez-le du lit, sans le réveiller, si c'est possible ; et enveloppez-le bien, qu'il ne sente pas le froid...

    Puis se tournant vers Viktor :

    - Je le prends, dit-il, on vous le ramènera tantôt ...

    - Seigneur ! s'écria le précepteur en calmant sa colère dans la voix...

    Mais déjà le paladin avait sorti Théo de son lit et le roulait dans les couvertures. Marcus, au seuil de la maison, monta sur son cheval que tenait en main un inquisiteur. Le petit jour blanchissait le ciel : Viktor, paralysé par la colère, vit, de ses yeux rougis par la rage, l'aide du meneur soulevant le petit Théo, le présenter à Marcus qui d'une voix très douce, presque tendre répétait :

    - Doucement, doucement, ne le réveillons pas.

    Il le posa devant lui, sur l'armure lumineuse de sa selle et appuyant la tête de l'enfant contre sa poitrine, et disparut dans l'aube grise, suivi de son escorte.

    Quand Théo, plus tard, rassemblait ses impressions de ce matin-là, il se souvenait avoir ouvert les yeux, aussitôt refermés, gros de sommeil. Son visage était enfoui dans la cape, il avait chaud, il se sentait bien, il lui semblait qu'on le berçait, et quelqu'un penché sur lui, répétait, d'un ton très bas :

    - Dors, mon petit, dors !

    Puis il entendit tout à coup comme un bruit de tonnerre, et il ouvrit les yeux, ébahi... Il était emporté, au grand galop d'un cheval, serré contre un homme qui, le tenant à bras-le-corps, le regardait tout souriant et répétait :

    - N'aie pas peur ! Tu as demandé au Dieu de la lumière des paladins et des inquisiteurs... En voilà !

    Et dans la plaine, à perte de vue, s'alignaient des régiments merveilleux : éclats de lueurs dorées, coiffés d'heaumes lumineux comme le soleil, auxquels succèdaient les lignes de paladins ; puis les inquisiteurs rangés sur leurs chevaux qui saluaient de la tête ; puis les prêtres dont les bâtons s'éclairaient d'un trait de lumière reflétant les rayons du soleil matinal. Et à mesure que le maître avançait, du fond des rangs montait le grondement rythmé des pas des chevaux battant la terre, les voix célestes récitant les psaumes sacrés, les cris formidables de toute l'armée acclamant leur leader ; au loin, la magie invoquait l'orage solennelement qui tonnait, les épées étincelaient sous le soleil levant, et lui grisé, les narines ouvertes, les lèvres souriantes, le front radieux, serrait l'enfant dans ses bras et de temps en temps disait :

    - Tu vois, comme c'est beau ! N'est-ce pas que c'est beau ?

    L'enfant garda pour toujours cette image des paladins et inquisiteurs le poussant davantage vers ce qui allait être son rang. Luttant contre la volonté de Viktor qui se retrouva fort obligé de le laisser vaquer à ces activités.

    A suivre...


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